À Chevaize, dès qu'il neige, qu'il vente ou qu'il y a de l'orage, immanquablement l'électricité est coupée. Et quand elle l'est, ça peut durer longtemps. L'été 2005,
après de gros orages de grêle, le hameau a vécu pendant deux jours sur ses réserves, occasion idéale de tester l'autonomie de son congélateur ou de son chauffe-eau. Au bout du deuxième jour, lassés
de manger des esquimaux matin, midi et soir, nous étions plusieurs voisins dehors, dans la douce chaleur du soir, à deviser avec philosophie sur notre sort, quand nous vîmes poindre au loin, dans
un nuage de poussière, une voiture bleu électrique. Nous crûmes d'abord au mirage, mais non, c'était bien un agent EDF enfin dépêché chez nous, après des heures d'intervention. Mais, à voir sa tête
lorsque notre groupe l'a encerclé, il n'était manifestement pas au courant de notre situation, et je pense qu'il a rapidement compris qu'il allait falloir se montrer très pro, là,
maintenant.
Il lui a fallu deux minutes pour trouver l'origine de la panne : un fil tombé à terre dans le jardin d'un voisin, bien en évidence au milieu du gazon...
Notre héros n'échappa pas à une bouteille de rosé plus trop fraîche, et s'en alla dans le soleil couchant, vers de nouvelles aventures.
Il faut dire que la grêle avait été particulièrement dévastatrice, que les pompiers étaient en rupture de stock de bâches pour couvrir les toits, que les
maires réclamaient déjà un classement en catastrophe naturelle, et que dans la confusion générale, aucun d'entre nous n'avait songé à appeler le dépannage...
Alors, depuis, à la moindre coupure, je sors le matériel d'urgence : un téléphone avec fil, car les téléphones sans fil, bien sûr, ne
fonctionnent pas sans électricité, des allumettes, des bougies évidemment, et enfin mon précieux sésame pour la civilisation, un bout de papier sur lequel est noté :
0 810 333 018 (ne me remerciez pas, c'est ça la solidarité), notre numéro de client, parce que je les connais maintenant, ils sont vicieux chez EDF, ils veulent toujours connaître
ton numéro de client quand tu es dans le noir avec un portable qui se décharge. Il y a également dans un placard de la cuisine le porte-filtre pour se faire du café à la main, une bouteille de gaz
pour la cuisinière, du bois pour la cheminée et une boîte de Scrabble pour la veillée.
« EDF bonjour !
- Bonjour, je voudrais signaler une coupure d'alimentation...
- Oui, quelle est votre adresse ?
- Chevaize, Sury-ès-Bois
- Attendez, je cherche... Non, je ne vois pas... [toi, mon gars, tu ne lis pas mon blog]
- Ben, essayez Assigny, le hameau est sur deux communes et...
- Assigny, Le Chevaise, c'est ça ? [Grrr, avec un Z !] Est-ce que c'est une coupure de
secteur ?
- Ben, je ne sais pas moi...
- Est-ce que les voisins ont la lumière ?
- Euh, on ne voit pas là, et puis ils ne sont peut-être pas encore levés, parce que voyez-vous...
- Bon, on va faire un test. Vous allez voir votre compteur et vous appuyez sur le bouton T.
- Ah. [Je vous rappelle que c'est un téléphone avec fil et il se trouve que le compteur est à l'autre bout de la
pièce.] Ne quittez pas, je vais voir.
- ...
- Il est où le bouton T ?
- C'est quoi comme compteur ?
- Je ne sais pas...
- Est-ce un modèle gris ou blanc ? (Légère impatience.)
- Euh, alors, là, il est six heures du matin, je suis dans le noir, alors savoir s'il est gris ou blanc...
- Bon, d'accord. On va supposer que c'est une panne de secteur. Vous êtes sûre que vous n'avez pas
disjoncté ?
- Non non, je suis très calme. »
Alors, ce soir, la nuit tombe, il tonne, et je commence à préparer le matériel... mais d'abord je vais aller voir si on l'a, ce fichu bouton test.
*
Epilogue
Sury-ès-Bois, séance de conseil municipal.
"Commission électrification, qui veut entrer dans la commission pour l'électrification des hameaux ?
- En quoi ça consiste exactement ?
- A travailler sur l'enfouissement des lignes...
- Moi ! Moi !
- OK, Franck, merci pour ton investissement dans ce projet."
Vous souvenez-vous du défilé de mode "spécial insectes" qui agita il y a peu les milieux chevaizois ?
